La financiarisation touche aujourd’hui de nombreuses professions libérales, et les géomètres-experts n’y échappent pas. L’ouverture du capital des Sociétés d’Exercice Libéral (SEL) permet de diversifier les sources de financement et stimuler l’innovation.
Elle soulève toutefois trois risques majeurs :
• la dilution de l’indépendance professionnelle, sous la pression d’actionnaires focalisés sur la rentabilité ;
• la pression accrue des investisseurs, susceptibles de court-circuiter la déontologie et d’amoindrir la qualité de service ;
• la fragilisation de l’ensemble de la filière en période de crise.
Face à ces menaces, la profession doit repenser la notion d’indépendance. À mesure que les montages capitalistiques se complexifient, la transparence et le contrôle doivent être renforcés. Protéger la liberté d’exercice s’avère impératif, pour éviter que l’expertise foncière, un des piliers de la paix sociale, ne soit subordonnée à la seule recherche de profit.
Il importe ensuite de conserver un cadre stratégique et déontologique exigeant tout en restant agile. L’Ordre des géomètres-experts a un rôle stratégique à jouer : lui revient la mission de définir, puis de faire respecter, des règles prudentielles capables de freiner les pratiques spéculatives. L’objectif n’est pas de rejeter l’investissement extérieur, mais de veiller à ce qu’il s’intègre dans un environnement sain et pérenne.
Préserver la profession de ces dérives, c’est aussi contribuer à la solidité du système foncier français. Les géomètres-experts garantissent en effet les limites de propriété, participent à l’aménagement des territoires et à la conception d’un cadre de vie harmonieux.
La financiarisation, lorsqu’elle est mal contrôlée, comporte des risques systémiques non seulement sur le plan foncier, mais aussi sur le plan économique. Des structures purement spéculatives, non régulées, pourraient fragiliser l’ensemble de la filière en cas de crise, qu’elle soit économique ou structurelle. La désintermédiation entre les banques et les cabinets constitue un risque majeur : en période de crise, un retrait des investisseurs pourrait entraîner l’effondrement de la filière. À l’inverse, faire appel à des acteurs bancaires régulés par la Banque de France et la Banque centrale européenne garantit l’intervention d’opérateurs reliés aux États, capables de soutenir financièrement une filière en difficulté ou en transition, et de préserver ainsi son savoir-faire, son capital humain et son développement.
Dès lors, l’Ordre doit consolider son rôle d’autorité de régulation, en collaborant avec les pouvoirs publics et les partenaires financiers afin de trouver un équilibre : tirer parti de l’apport de capitaux lorsqu’il favorise l’innovation, sans pour autant sacrifier l’autonomie des professionnels, ni la qualité du service rendu au public.
Il convient donc d’instaurer un cercle vertueux, où la solidité économique des cabinets repose sur la confiance, la déontologie et un sens aigu de l’intérêt général. L’ouverture au capital privé peut se révéler bénéfique, à condition de prévenir toute mainmise dictée par des logiques purement financières. Quelles mesures envisager ? Un contrôle rigoureux des structures ayant recours à des financements complexes, une définition stricte de l’indépendance et des obligations de transparence accrues, pour assurer une gouvernance équilibrée.
La profession se situe aujourd’hui à la croisée des chemins. Les nouvelles formes de financement ne sont pas intrinsèquement néfastes. Toutefois, sans garde-fous solides, elles pourraient compromettre la confiance dont bénéficie la profession.
La financiarisation ne doit pas être assimilée à une dérégulation outrancière. Elle invite plutôt à mettre en place des mécanismes d’adaptation et de régulation capables de conjuguer dynamisme économique, préservation de nos valeurs, innovation et durabilité. C’est à cette condition que les géomètres-experts, forts de leur Ordre, de leur déontologie, de leur rigueur et de leurs expertises, continueront de contribuer à la sécurisation du système foncier, de la propriété et du logement.