Les récents événements climatiques exceptionnels ont entraîné des montées des eaux rapides, jusqu’alors inédites sur certains territoires, avec parfois des conséquences dramatiques. Anticiper ces risques naturels est donc devenu une priorité pour les territoires. Les nouvelles technologies de relevés topographiques, alliées à la modélisation 3D des écoulements d’eaux pluviales, offrent aujourd’hui de nouvelles opportunités pour anticiper l’imprévisible. L’accompagnement des géomètres-experts peut permettre aux collectivités pour mieux se préparer à d’éventuels inondations notamment. Regards croisés de Stéphanie Bidault, Directrice du Centre Européen de Prévention du Risque Inondation (CEPRI), et de David Nicolas, géomètre-expert à Lorient et premier Vice-Président du Conseil régional de Rennes.
Quels sont aujourd’hui les enjeux de la prévention des risques naturels pour les collectivités, à l’aulne des changements climatiques ?
Stéphanie Bidault : « Face à des événements de plus en plus imprévisibles, tant en périodicité qu’en violence, le principal enjeu est vraiment d’avoir une connaissance aussi fine que possible du territoire et de sa vulnérabilité aux inondations – aussi bien face aux phénomènes de crues que de ruissellement, ou encore de submersion pour les territoires littoraux. Sans un diagnostic extrêmement rigoureux, impossible d’élaborer des scénarios précis, et donc pas de mécanismes de prévention adaptés.
C’est sans doute le risque de ruissellements qui connaît aujourd’hui le plus important déficit d’information : nature des sols, imperméabilisation, bassins versants… »
David Nicolas : « Le changement climatique génère des événements naturels exceptionnels et ceux-ci peuvent avoir des conséquences soudaines et inédites. A titre d’exemple, les pluies très violentes survenues en Picardie au mois de juin, ou en Allemagne et Belgique en juillet. L’enjeu pour les collectivités : anticiper, autant que faire se peut, les conséquences de ces événements climatiques… Par définition imprévisibles ! Réaliser un schéma d’écoulement très précis permet par exemple de modéliser des scénarios et définir des stratégies de prévention ».
Quels peuvent être les apports des géomètres-experts en la matière ?
S. B. : « Le géomètre-expert est un expert de la mesure, et s’inscrit souvent dans une longue coopération avec les territoires sur lesquels il intervient. C’est dans cette phase de diagnostic qu’il va se révéler un auxiliaire précieux pour la collectivité.
Par ailleurs, on perçoit bien que l’aménagement urbain peut être, selon l’approche, facteur de risques d’inondation – par l’imperméabilisation des sols, l’occupation de plaines inondables, etc. – ou au contraire facteur de dispositifs de prévention. Les géomètres-experts sont des professionnels du cadre de vie, et leur apport peut contribuer à intégrer aux projets d’aménagement une réflexion sur la qualité des sols et des dispositifs de prévention.
Que ce soit par une meilleure captation de l’eau ou une re-végétalisation d’espaces de nature en ville, on répond à la fois à la gestion des épisodes d’inondation et aux épisodes de sécheresse qui, eux aussi, se multiplient. Pour cela, il faut que tous les acteurs du cadre de vie – Etat, professionnels de l’immobilier, particuliers, géomètres-experts – se mobilisent pour accompagner les collectivités. »
Vous évoquiez le ‘schéma d’écoulement’ : qu’est-ce que ce document et que peut-il apporter à la collectivité en matière de gestion des risques ?
D. N. : « Par définition, l’eau ruisselle ou s’infiltre suivant les pentes et la perméabilité des sols. Un schéma d’écoulement est un document technique, modélisé en 3D et réalisé à partir de mesures topographiques fines de la collectivité. Déclivités, bassins versants, végétation, routes… Les relevés sont effectués avec des instruments de pointe, puisqu’en matière de ruissellement le moindre centimètre a un impact sensible.
Et pour mener à bien ces relevés précis, les cabinets de géomètres-experts travaillant dans le secteur de l’aménagement intègrent de plus en plus un hydrologue dans leurs équipes. Celui-ci peut compléter les informations topographiques de diagnostics quant à la perméabilité des sols et donne un avis technique poussé sur les calculs de débit et de régulation des eaux des projets. Ingénieur de formation, le géomètre-expert est donc parfaitement légitime pour intervenir et accompagner les collectivités sur le sujet. Lorsque celle-ci dispose d’une modélisation 3D fiable et précise, elle dispose d’un outil fiable pour simuler facilement des surcharges d’eaux pluviales liées à des pluies diluviennes, une montée des eaux d’un petit cours d’eau local ou même une grande marée sur un littoral ».
Quelles seront vraisemblablement les évolutions en matière de prévention des risques, notamment inondation, dans les années à venir ?
D. N. : « De façon globale, les modélisations permettent de réviser, avec une très grande précision, le PPRI et le zonage des zones à risques (submersion marine par exemple). Par ailleurs, des actions opérationnelles simples peuvent aussi être entreprises. J’ai eu l’opportunité de réaliser pour la commune de Carnac des relevés ciblés sur les endroits où l’eau de la mer s’engouffrait dans la ville (Tempête XYNTHIA de 1999). Ensuite des scénarios de montée des eaux modélisés par un bureau d’études indépendant ont montré qu’un simple rehaussement d’une bordure, d’un muret ou d’un morceau de digue sur quelques centimètres, permettait de réduire drastiquement les risques en cas de vagues de submersion sur l’intérieur de la ville ou zone urbanisée.
De même, lorsqu’on intervient sur un projet d’aménagement urbain, la modélisation des infrastructures et des futurs bâtis nous servent pour mesurer l’impact sur les ruissellements à venir des eaux pluviales et d’intégrer ces mesures au projet pour limiter les risques. De là, plusieurs solutions peuvent être mises en œuvre : augmentation des collecteurs, aménagement d’espaces non-artificialisés pour favoriser l’infiltration naturelle, création de volume, d’ouvrage de régulation…Dans le cadre de projets d’aménagements fonciers agricoles et environnementaux, le géomètre-expert peut aussi proposer la création de talus en travers de la pente. »
S. B. : « Le renouvellement urbain est une opportunité de répondre aux rappels à l’ordre, hélas de plus en plus fréquents, en matière d’événements climatiques exceptionnels. Je pense que l’on va vers une intégration des dispositifs de prévention dans tous les projets d’aménagement – c’est en tout cas ce vers quoi il faudrait tendre. Toute opération nouvelle d’urbanisme est une occasion à saisir pour intégrer des équipements nouveaux : bassins de captation, puisards, techniques constructives nouvelles… à condition d’avoir une connaissance assez précise de l’inondabilité du territoire !
Il ne faut surtout pas geler l’aménagement du territoire, mais au contraire opérer une mutation de nos villes actuelles vers des villes plus résilientes et plus durables. On perçoit le début d’un mouvement, encore un peu timide, mais il faut une mobilisation de tous les acteurs pour accompagner les collectivités territoriales face à ce sujet éminemment complexe. »
Conclusion
Face à la croissance des risques environnementaux et notamment du risque inondation, les géomètres-experts se positionnent à nouveau comme des partenaires clés des collectivités. Charge à ces dernières de les intégrer désormais en amont de leur stratégie urbaine. Etre garants d’un cadre de vie durable, pour les géomètres-experts, c’est aussi savoir anticiper les grands enjeux sociétaux et environnementaux de demain, notamment en proposant des solutions innovantes et efficaces.
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Sources : http://www.geometre-expert.fr/oge/medias-et-publications/a-la-une/prevenir-les-inondations-comment-prod_19057039